La
brigade des stupéfiants doit bientôt
être
officiellement saisie, par le parquet de Brest, de l'enquête
portant sur la dernière plus grosse prise jamais
réalisée
: 3,2 tonnes de cocaïne, trouvées le 7
février sur
un bateau battant pavillon panaméen arraisonné au
large
de Conakry (Guinée). Sa destination : l'Europe, et notamment
le territoire français. De plus en plus abordable sur le
marché, la "coke" se
démocratise en
France.
Autrefois drogue de la jet-set, la
cocaïne bénéficie d'un
véritable effet de mode, au point que des
spécialistes évoquent désormais une
épidémie. Le phénomène,
devant lequel les pouvoirs publics confessent une certaine impuissance,
inquiète la police et les autorités sanitaires.
"C'est le tsunami de demain",
pronostique ainsi Etienne Apaire, président de la Mission
interministérielle de lutte contre la drogue et la
toxicomanie
(MILDT). Plus d'un million de Français en auraient
déjà
consommé au moins une fois, soit 2,6 % des 15-64 ans en
2005,
selon les derniers chiffres disponibles.
La disponibilité de la
cocaïne s'est
fortement accrue depuis 2002. Selon l'Office central pour la
répression du trafic illicite des stupéfiants
(OCRTIS),
le nombre d'"usagers simples" (les consommateurs)
interpellés a doublé entre 2002 et 2006, passant
de 1
576 à près de 3 000.
Parallèlement, le nombre de
saisies a explosé
: 5 tonnes en 2005, 10 tonnes en 2006, 9 tonnes en 2007.
La cocaïne
consommée en France provient
d'Amérique du Sud. Sur les 1 000 tonnes produites chaque
année
par les narco-trafiquants du triangle
Colombie-Pérou-Bolivie,
un tiers est réservé à l'Europe. La
police doit
faire face à une réorganisation des circuits de
distribution. Depuis deux ans, la drogue transite de plus en plus par
le golfe de Guinée et l'Afrique de l'Ouest, en passe de
devenir une zone importante de stockage, puis par le Maroc.
"Pour remonter
jusqu'à la France, la
cocaïne emprunte les routes d'autres trafics, comme celles du
cannabis", explique Jean-Michel Colombani, le chef de
l'OCRTIS. Une plate-forme spécialisée dans la
lutte
contre la drogue, associant les services de police du pourtour
méditerranéen, doit être
inaugurée à
Toulon par la ministre de l'intérieur, Michèle
Alliot-Marie.
Les semi-grossistes de haschich,
implantés
dans les quartiers populaires, ont ajouté la
cocaïne à
leur offre ou se sont reconvertis. Conséquence : le prix du
gramme (dix sniffs) a été divisé par
deux depuis
les années 1990. Il se situe en moyenne à 60
euros.
Mais on trouve de la cocaïne en "deal de rue"
à
30 ou 40 euros.
Aux questions d'ordre public
générées
par cette consommation massive s'ajoutent de nouveaux
problèmes
sanitaires. "La cocaïne devient la drogue de M.
Tout-le-Monde", résume le président de
la
MILDT. "Le sniff se banalise et se systématise
dans
les soirées, acquiesce le professeur Michel
Reynaud, chef
du département de psychiatrie et d'addictologie de
l'hôpital
Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne). La cocaïne
bénéficie de l'image d'une drogue correspondant
à
notre époque, avec une recherche de plaisir, de valorisation
sexuelle et de plus grande performance dans tous les domaines."
L'ancien profil type du consommateur,
qu'il soit un
mondain survolté ou un marginal usager de crack, a
volé
en éclats. L'usage occasionnel de la cocaïne se
répand
dans toutes les couches sociales et touche de plus en plus les
employés, les salariés et les jeunes. En 2006,
selon
les chiffres de l'OCRTIS, sur 2 900 personnes
interpellées,
43 % étaient au chômage ou au RMI. Le nombre de
jeunes
de 18 à 20 ans, lui, a bondi de 10 % entre 2005 et 2006.
"La consommation
débute souvent dans
un contexte festif, en association avec d'autres produits, comme
l'alcool, le cannabis ou l'ecstasy", explique le docteur
Agnès Cadet-Taïrou, responsable du programme
"phénomènes
émergents" à l'Observatoire français
des
drogues et des toxicomanies (OFDT). "Le problème
vient
quand les usagers s'installent dans la consommation." Car
"les consommateurs s'accrochent vite à son effet
"high", euphorique, stimulant, et le recherchent de
nouveau, constate Laurent Karila, psychiatre à
l'hôpital
Paul-Brousse. C'est sournoisement que s'installe une
consommation
moins récréative : les gens commencent
à acheter
seuls, et ils consomment seuls."
Les usagers s'adressent de plus en plus
aux médecins
pour une consommation spécifique de cocaïne, un
phénomène
qui n'existait pas il y a cinq ans. Or le système de soins
est
démuni face à ce stupéfiant, pour
lequel il
n'existe pas de traitement de substitution. Contrairement à
l'héroïne, que l'on peut remplacer par la
buprénorphine
(Subutex) ou la méthadone, on ne sait pas encore mimer, par
une autre molécule, l'effet de la cocaïne.
Comme avec les autres drogues, la prise
en charge
reste essentiellement psychothérapeutique. "Avec
la
cocaïne, le sevrage est bref, explique Marc Valleur,
psychiatre
à l'hôpital Marmottan. Le problème,
c'est la
prévention des rechutes, qui nécessite un suivi
au long
cours." La médecine explore de
nouvelles pistes
thérapeutiques. A l'hôpital Paul-Brousse, le
docteur
Karila prescrit de l'acétylcystéine (Mucomyst),
le
fluidifiant bronchique des pharmacies familiales. A des doses
importantes, il permettrait de limiter le "craving",
l'envie obsessionnelle de se procurer de la cocaïne.
DÉFINITION. La
cocaïne se
présente sous la forme d'une fine poudre blanche,
résultat
de la distillation des feuilles de cocaïer
préalablement
séchées. Elle est principalement
"sniffée"
à l'aide d'une paille, mais peut être aussi
fumée
(free-base ou crack) ou injectée.
EFFETS. Elle
provoque une euphorie immédiate,
un sentiment de puissance intellectuelle et physique et une
indifférence à la douleur et à la
fatigue. Elle
entraîne une forte dépendance psychologique, qui
pousse
l'usager à vouloir sans cesse en consommer.
DANGERS. Des
troubles psychiques (instabilité
d'humeur, délires paranoïdes, crises d'angoisse)
sont
observés en cas de consommation abusive. Elle peut provoquer
des accidents cardio-vasculaires graves. Le sniff peut
entraîner
une nécrose des cloisons nasales, ainsi qu'une transmission
des virus des hépatites et du sida par échange de
pailles.