Chaque
déclaration, chaque
signe, autant que les non dits sur cette drogue, engagent la
responsabilité de leurs auteurs
Adresse
aux femmes/hommes politiques et autres décideurs
français
La jeunesse de
notre
pays est actuellement la victime d'une véritable
pandémie
cannabique ; elle s'étend soit par une ignorance
entretenue, soit pire du fait
de la complaisance
de
certains de ceux qui ont la responsabilité de guider ses pas
pour en faire des adultes libres et des citoyens accomplis.
Le cannabis
déferle
à flot dans notre pays, comme il le faisait en
Suède il
y a une trentaine d'années. La Suède a pris alors
la
mesure du caractère foncièrement
délétère
de cette drogue. Elle a mené une politique
résolue dans
laquelle la pédagogie, les discours officiels, ceux des
médias, des éducateurs, des familles, bref des
adultes, ont occupé une large place. C'est ainsi qu'en 2006
cet état peut s'enorgueillir de compter dix fois moins de
toxicomanes que la moyenne de l'ensemble européen. Pendant
cette même période, la France, de par l'importance
de sa
consommation de cannabis, s'est trouvée
catapultée en
26ième place de la classe
européenne qui
compte 27 élèves (source OEDT). Même
les Anglais,
les Hollandais et les Espagnols font moins mal que nous, puisque
seuls les jeunes Tchèques font plus mal. Il n'y a pas de
fatalité en cette matière, n'en
déplaise à
ceux qui ressassent avec délectation qu'il n'y a pas de
société sans drogue. La Suède a
démontré
que là où il y a une
volonté, il y a
unesolution,
tandis que notre pays a confirmé que là
où le
laxisme est à l'œuvre les instincts
toxicomaniaques
explosent.
Des
déclarations
myopes et irresponsables, de personnalités
"emblématiques"
des sphères politiques, artistiques, sportives..., empruntes
de démagogie éducative, de jeunisme , de l'esprit
de "
rigolade", de la "teuf" en verlan, ont contribué
à l'effroyable banalisation de cette drogue. Cette
banalisation est en contradiction,
chaque jour plus flagrante, avec tous les
éléments
de connaissances qui se sont
accumulés à cet égard.
Je souhaite vous en restituer ici un
certain nombre,
tenant à votre disposition les études qui
justifient
les diverses assertions suivantes.
Il convient
d'abord de
souligner la diffusion énorme des
usages.
S'il est troublant que plus de 70 % des jeunes gens de 18 ans aient
expérimenté le cannabis, il est très
inquiétant
que 20 % d'entre eux en soient devenus dépendants ("accros")
; c'est à dire en soient devenus des utilisateurs
réguliers.
Cela se matérialise par la consommation d'un joint, ou plus,
tous les trois jours. Pour comprendre que c'est beaucoup, il faut
savoir que le THC (principe actif du cannabis) est, de toutes les
drogues, le seul à se stocker
très
durablement dans le cerveau.
"Un joint c'est pour une semaine dans la tête" - "Le
réservoir est si grand qu'il n'est pas besoin de repasser
souvent à la pompe" - "Ne fumer qu'un joint par
jour, ce n'est pas maîtriser sa consommation, mais baigner en
permanence dans le chichon".
Cette dépendance psychique est
doublée
d'une dépendance physique. Elle est, certes, largement
masquée
par la longue rémanence de la drogue dans l'organisme, mais
on
la révèle très bruyamment par
l'administration
d'un antagoniste des récepteurs du THC (tel le rimonabant)
qui
fait disparaître subitement son effet, comme si la drogue
était
rapidement éliminée.
-
Les taux de THC dans les produits (marijuana = herbe et shit =
haschich) actuellement en circulation sont près de 8 fois
plus élevés qu'ils ne l'étaient dans
les
produits d'antan. Exit les vieux fabliaux de la "bonne herbe",
de la "fumette", du "foin", du "chichon",
de la "moquette"… car désormais,
au-delà
des rires bêtes, de l'empathie, de la distanciation, de
l'omnipotence sur place, du fait d'être revenu de tout sans
être allé nulle part... c'est le
délire, ce sont
les hallucinations, c'est à dire
l'expérimentation des
troubles caractéristiques de la folie; en se souvenant que
l'exercice réitéré d'une fonction
façonne
l'organe, et ce d'autant plus que ces empreintes sont
précoces.
Or, dans notre pays, ce sont au moins 200 000 gamins de 12 à
15 ans qui ont commencé à consommer du cannabis.
Plus
tôt l'essayer, c'est plus vite l'adopter et plus
intensément
se détériorer. On notera encore qu'à
cet âge
où l'on est encore peu habile à rouler "joints ou
pétards" la pratique de la pipe à eau ("bang")
se répand. Elle accroît de façon
considérable,
et sur un temps très court, la cession du THC à
l'organisme, ce qui confine à un véritable
"shoot".
-
Les perturbations des activités cognitives par le cannabis
sont avérées. A l'époque où
notre société
demande toujours plus à l'intellect de ses acteurs, afin de
dominer une technicité exigeante, la rencontre
cannabis-éducation est très contre-productive.
-
L'anxiété, qui est apaisée par le
cannabis lors
des premiers usages, au point de constituer un facteur
fréquemment
impliqué dans "l'accrochage" à cette drogue,
réapparaît bientôt en dépit
d'un
accroissement des doses et des fréquences d'usage (abus).
Elle
culmine alors à un niveau supérieur à
l'intensité initiale du trouble. Elle constitue d'ailleurs
un
motif fréquent de consultations médicales.
-
Selon un mécanisme assez semblable le cannabis
paraît
apaiser les troubles dépressifs avant que de les exacerber.
L'accroissement de la suicidalité de nos jeunes est
étroitement corrélé au
degré de leur
consommation de cannabis.
-
Les travaux Suédois d'Andreasson, publiés
dès
1983 (The Lancet), qui suivaient pendant 13 ans le devenir
psychiatrique de 50 000 conscrits d'une même
année, révélaient que le fait d'avoir
fumé plus de 50
joints à l'âge de la conscription multipliait par
6 le
risque de devenir schizophrène. Récemment une
étude
Néo-Zélandaise, réalisée
par M.-L.
Arsenault, a suivi une cohorte d'un millier de gamins ayant
débuté
une consommation de cannabis entre 12 et 15 ans. A 19 ans 10 %
d'entre eux étaient schizophrènes, quand ce taux
n'était que de 1 % chez ceux qui à cet
âge
n'avaient jamais consommé de cannabis. La gravité
de
cette affection, le drame qu'elle représente pour ses
victimes, leurs familles, son coût social très
élevé
font qu'on n'a vraiment plus le droit, ni moral ni juridique, de
jouer avec la communication sur cette drogue.
-
Chacun savait bien que l'ivresse cannabique était peu
compatible avec la conduite automobile, mais il fallait à
certains irréductibles des preuves
supplémentaires
avant de l'admettre. En dépit de la torture des chiffres,
des
manœuvres dilatoires et d'une communication parfois
trompeuse,
l'étude SAM (Stupéfiants et Accidents Mortels de
la
route), un certain temps après un PHRC (Programme
Hospitalier
de Rechercher Clinique) affirme que le cannabis seul tue aussi sur la
route et que sa rencontre avec l'alcool est proprement
catastrophique, multipliant par 14 le risque d'accident mortel. On
sait par ailleurs que le cannabis incite à la consommation
d'alcool. Il convient donc d'oublier la formule : "vous les
vieux vous avez votre alcool, alors laissez-nous notre cannabis"
; elle est surannée ; ce n'est en effet plus alcool ou
cannabis, mais très souvent alcool et cannabis.
-
Le cannabis est porté sur les épaules du tabac.
Certains découvrent le tabac comme support de combustion du
cannabis. Il y a désormais davantage d'adolescents qui
fument
tabac et cannabis que du tabac seul. Cela rend encore plus difficile
le "décrochage" de chacun d'eux. Ce tabac qui fait
chaque année 66.000 morts en France, en fera
bientôt
davantage, du fait du cannabis, avec un rajeunissement de
l'apparition des cancers des sphères ORL et
broncho-pulmonaires.
-
Les 150.000 héroïnomanes que compte la France, avec
les
100.000 d'entre eux pris en charge à prix
élevé
par les organismes sociaux, sont tous passés par le
cannabis.
L'abus de ce dernier prépare à percevoir
d'emblée
les effets appétitifs de l'héroïne sur
un mode
magnifié, "hyper accrocheur", faisant que l'essayer
c'est alors très vite l'adopter. Si tous "nos"
cannabinophiles (800.000) ne sont pas tous
héroïnomanes
(150.000), c'est surtout parce que l'héroïne n'a
pas
encore croisé leur trajectoire. Que le cannabis soit
d'accès
encore plus facile (dépénalisation) et la
première
ligue de transgression qui sera alors offerte à nos jeunes
sera représentée par
l'héroïne.
Sans prétendre à
l'exhaustivité, je
me limiterai à énumérer quelques
autres méfaits
du cannabis : les conséquences pour le devenir du
fœtus
exposé au cannabis pendant la grossesse, les raptus de
violence, les levées d'inhibition avec violences sexuelles,
la
dépression de l'immunité, la toxicité
cardio-vasculaire...
A partir de ces
éléments nouveaux, ou
mieux précisés, ou confirmés, il n'est
plus
tenable de ressasser les poncifs et d'entretenir les brouillards qui
ont amené à la situation actuelle, collectionnant
tant
d'incidents, d'accidents et de drames. Il serait coupable et
diabolique de persévérer dans ces aberrations.
Notre
jeunesse,
déboussolée souvent par des carences
éducatives
et/ou affectives, en manque de repères et d'objectifs,
confrontée à des mutations trop rapides pour
être
aisément assimilées, ne peut se voir infliger la
"liberté" du cannabis. Telle celle
décriée
par Manon ROLAND(*), cette liberté serait criminelle. On ne
peut en effet accoler la notion de liberté à une
drogue, puisque celle ci est source de dépendance,
d'aliénation, d'assujettissement, d'addiction, d'esclavage.
En requérant de façon
pressante votre
attention à cette présentation synoptique du
cannabis,
et en espérant influencer votre jugement ainsi que vos
déclarations et prises de positions futures, je vous prie
d'agréer, cher lecteur dont je salue la patience,
l'expression
de mes salutations très distinguées.
J.
COSTENTIN
Professeur
de Pharmacologie,
Directeur
de l'unité de Neuropsychopharmacologie
CNRS-Faculté
de Médecine & Pharmacie – Rouen,
Responsable
de l'unité de Neurobiologie Clinique
CHU
Charles Nicolle – ROUEN,
Membre
titulaire des Académies Nationales de
Médecine
et de Pharmacie
*Manon
Roland, ou "Madame Roland", était l'épouse du
conventionnel Roland, elle est morte sur l'échafaud, et son
mari, fuyant la terreur, est mort lui, dévoré par
les
loups, non loin de Rouen, à Bourg beaudoin (27). Madame
Roland disait "Liberté que de crimes on commet en ton
nom"...