Résistance
à la banalisation de la drogue
Marie-Françoise CAMUS
L'APPEL du
18 juin 2002
La
consommation de produits stupéfiants par de nombreux jeunes dans
notre pays a connu ces dernières années une aggravation brutale,
d'une ampleur aussi impressionnante qu'inquiétante. Cette dérive
dramatique hypothèque l'avenir. Trop d'adolescents d'aujourd'hui,
devenus incapables d'une scolarité bénéfique ou d'un apprentissage
professionnel normal, ne fourniront jamais l'investissement humain
que toute génération montante apporte normalement.
Comment
gérer ce déficit ? La vulgarisation simpliste des "
conclusions " du rapport Roques " le cannabis est moins
dangereux que le tabac " a massivement donné une information
ambiguë et déformée. Elle a contribué à la banalisation du
haschich dans tous les lycées et collèges de France.
La
tolérance complice d'un usage dit " récréatif " a fait
croire aux adolescents qu'il est aisé de maîtriser l'usage du
cannabis. Dans l'illusion de pouvoir gérer leur consommation,
beaucoup de jeunes ne réalisent plus alors le risque d'escalade,
alors que c'est toute l'attitude face à la drogue qui pose problème
! Le silence coupable des autorités, leur absence de décisions
énergiques et rapides sont pour les familles françaises un scandale
à rapprocher de celui du sang contaminé. Il est hélas avéré
qu'un ancien ministre de la santé et ses équipes ont abusé toute
une génération sans autre justification qu'un a priori idéologique.
Leur
inconscience n'a eu d'égal que leur entêtement. Dans le même sens,
combien a-t-il fallu de décennies pour reconnaître enfin
publiquement la dangerosité du tabac ?
Concernant
l'usage du cannabis, le comportement des décideurs a été d'autant
plus incohérent et fautif que les connaissances médicales des
méfaits du haschich existent depuis longtemps. Plus récemment, le
rapport de l'Académie de Médecine du 19 février 2002 (tome 186, n°
2) " Drogues illicites d'aujourd'hui et santé " dénonce "
l'information tronquée ou partiale "(page 89) faite jusqu'à
maintenant. Il faut diffuser très largement ce que les scientifiques
connaissent et que trop d'utilisateurs ignorent encore : lenteur
d'élimination et bio-accumulation, relargages possibles, délires
psychotiques et schizophrénie chez 1 % des consommateurs et, pour
tous, perturbation de la conscience et distorsion du temps, risques
de cancers accrus et de dépendance très rapide, action sur la
spermatogenèse. La consommation de cannabis induit selon ce rapport,
" d'importantes anomalies comportementales ". La petite
délinquance et la question de l'insécurité sont complètement
liées à ces anomalies de comportement. Les fumeurs de hasch
dissocient pensées et sensations, dépendent de pulsions qu'ils ne
maîtrisent pas complètement. Leurs confusions entre fantasmes et
réalité induisent parfois, surtout avec la prise associée
d'alcool, des " passages à l'acte " regrettables, avec
incapacité à gérer l'avenir et construire dans la durée. Leur
champ de perception et leur mode relationnel se rétrécissent
progressivement, tout en donnant l'illusion du contraire, à un âge
où tout le processus éducatif et de maturation porte à l'inverse.
Le
souci de la santé publique est un devoir impérieux de l'Etat. La
«mode du pétard » n'est pas admissible. Les enfants vont-ils à
l'école pour apprendre à fumer et à se droguer ? Vu les risques
encourus pour la santé mentale de trop nombreux jeunes, il convient
de réagir très vite. Tous ceux qui incitent à la consommation de
drogue ont à répondre de leur délit devant la loi.
Il ne
s'agit pas d'enfermer une petite minorité de jeunes, chacun suivi
d'un éducateur en permanence. Davantage de sanctions pertinentes
seraient structurantes et éviteraient des peines de prison
inopérantes et mortifères pour la plupart des jeunes incarcérés.
La création indispensable de centres de désintoxication ne doit pas
être assimilée aux établissements de rééducation qui ont montré
leurs limites. D'autre part, il faut vraiment trouver sans délai un
consensus avec ceux qui détiennent l'autorité : parents,
enseignants, représentants de l'ordre public et de la justice.
Or,
les familles ont légitimement eu le sentiment d'être abandonnées.
Il est facile de les accuser, de les juger démissionnaires, mais
qu'a-t-on fait pour leur permettre d'exercer leurs responsabilités ?
Parents et enseignants ont besoin d'une réelle information sur
chaque produit, et cela sans dédouaner le haschich, sous le prétexte
d'une plus grande dangerosité des autres drogues. Les éducateurs
proches des jeunes au quotidien sont les mieux placés pour les
mettre en garde. En effet, un enfant averti sereinement et avec
intelligence par ses parents résiste 8 fois mieux qu'un autre,
signale Evelyne Sullerot, sociologue. Dans ce combat, la cohérence
et l'action concertées s'imposent.
Voici
les mesures d'urgence que nous préconisons :
- 1. nécessité
d'instaurer un barème de contraventions, immédiates et uniformes
sur tout le territoire -comme pour les infractions au code de la
route-, pour tout détenteur-utilisateur de produits illicites, sans
qu'il soit indispensable de signaler le délit au Parquet. En mettant
sur le même plan, le trafiquant de drogue, coupable de « transport
», de « détention », de « cession » et d' « offre », et le
simple consommateur, souvent juvénile et inconscient, coupable d'«
acquisition » ou d' « emploi », l'article 222-37 du Code Pénal
obtient, en effet, des résultats contraires à ceux qu'il est censé
rechercher : la trop grande sévérité des sanctions qu'il prévoit
pour les simples consommateurs -à l'égal de celles des trafiquants-
est dissuasive de toute poursuite à leur égard, ce d'autant plus
que le nombre de ces consommateurs ne cesse de croître. Une
modification de ce dispositif s'impose et le système des amendes
aurait au moins le mérite d'être réellement applicable. Dans cette
optique, les peines prévues par l'actuel article 222-37 seraient
réservées aux trafiquants de drogue et aux détenteurs
multi-récidivistes.
- 2. mise en place et
gestion de travaux d'intérêt général beaucoup plus nombreux dans
une perspective éducative de réhabilitation des personnes.
Travailler et réparer après un délit y contribuent.
- 3. contrôle des
conducteurs de véhicules non seulement sur l'alcool, mais aussi sur
les produits stupéfiants et les médicaments, avec des tests
urinaires ou des analyses de salive. Les décès ont diminué de 68 %
dans la Sarre depuis que ces contrôles ont été institués (p. 82).
Les contrôles doivent être établis non seulement en cas d'accident
mortel, mais dans tous les accidents et même à l'improviste comme
pour l'alcool, avec sanction en cas d'infraction.
- 4. extension de la
détection d'usage de drogue non seulement à tous les accidents
corporels de la circulation, mais aussi, comme le préconise
l'Académie de Médecine (p. 90 du rapport déjà cité), « à
tous ceux du travail, aux actes de violence, ainsi que lors de toute
manifestation psychiatrique aiguë », ainsi qu'auprès des
sportifs (lutte anti-dopage).
- 5. lutte plus intensive
contre l'offre de drogue par des moyens accrus et concertés pour les
Douanes, la Police et la Gendarmerie et application sévère des lois
existantes pour tous ceux qui participent à ces trafics, directement
ou par incitation.
- 6. sévérité réelle
pour les médias et groupes de pression qui fabriquent « la mode du
pétard » et incitent à consommer de la drogue.
- 7. passage des équipes
cynophiles (avec chiens anti-stups) dans tous les établissements
scolaires, et cela jusqu'au retour à la normale d'une école sans
drogue.
- 8. présence effective
des associations de parents confrontés au drame de la toxicomanie
dans les structures officielles de prévention et de soins, comme
cela est pratiqué avec succès dans d'autres pays d'Europe.
L'exemple de Milan en Italie est particulièrement instructif. Aucun
partenaire ne doit être éliminé. Sans la cohésion entre le
travail des professionnels et le soutien apporté par les familles,
les chances de guérison et de réinsertion des personnes toxicomanes
sont considérablement réduites.
Vu
l'ampleur de ce fléau social, la tâche est immense, mais plus nous
tarderons, plus la santé mentale de nos enfants sera compromise.