Au
nom de toutes les familles en souffrance qui se confient à
nous, je vous remercie de votre invitation. C’est une
surprise et
un honneur d’être écoutés au
plus haut niveau,
dans une des institutions prestigieuses de l’Etat. Surprise,
car nous sommes malheureusement davantage habitués
à
l’incompréhension et
l’indifférence. Honneur,
parce que vous représentez un pouvoir éminent et
nous
redonnez espoir.
Ce
que je vous dirai aujourd’hui n’a rien
d’une théorie
plaquée artificiellement. C’est la
réalité
brute au quotidien, avec son cortège de
difficultés et
de drames, souvent ressentis comme des impasses dont il est
très
difficile de sortir. Ce sont aussi les besoins urgents qui en
découlent. Si des familles de toute la France nous font
confiance, c’est probablement parce que les
écoutants formés
à Phare sont ou ont
été tous confrontés à des
situations
similaires. Ainsi la compréhension et la compassion entre
nous
est immédiate, personne ne se sent jugé,
même
lorsque la réalité va au-delà de tout
ce que
l’on peut décrire. L'entraide est alors
spontanée.
Notre regard est obligatoirement différent de celui
d’un
professionnel qui n’a pas vécu ces situations et
qui ne peut
se sentir impliqué de la même manière.
Les
personnes qui s’adressent à nous sont d'abord des
mères
de familles, souvent des grand-mères. Sans doute, nous
sentons-nous une complicité de femmes qui favorise les
échanges. Certaines nous disent, quand la situation est trop
pénible et invraisemblable, ce que nous savons toutes, nous
les mères : « mais
quand même, il est
sorti de mon ventre ». Les
pères nous
téléphonent moins, de façon plus
brève.
Quant-aux jeunes, ils nous contactent surtout par internet.
Vous
savez que la toxicomanie à l’heure actuelle
n’est plus
seulement le fait de quelques marginaux. Notre
société
a orchestré une telle banalisation du cannabis
auprès
de nos enfants que maintenant bien des familles sont atteintes en
France. La dangerosité du cannabis a
été si
fortement niée que le nombre de jeunes consommateurs a
doublé
entre 1998 et 2001. Or la plupart ont à un moment ou un
autre
des idées de meurtre ou de suicide. Rares sont les familles
qui ne nous en parlent pas. Heureusement peu passent à
l’acte, mais est-ce une drogue inoffensive une drogue qui
provoque
de telles idées ? Imaginez le climat familial lorsque les
jeunes disent à leur père ou leur mère
« tu
sais, je pourrais te tuer ! » Car,
c’est
principalement en famille qu’ils osent manifester ainsi leurs
pulsions. A peine commence-t-on à réagir
publiquement
devant ce fléau qui menace la santé publique, non
seulement la santé physique comme avec le tabac, mais
la santémentale. Or tous ces
jeunes consommateurs
sont profondément marqués dans leur cerveau. Non
seulement l’empreinte mnésique, le souvenir est
inscrit
durablement dans le disque dur de la mémoire, mais encore
les
moments de lucidité n’existent guère,
tant que la
personne reste sous l’influence du produit. Le cannabis est
une
drogue lente, stockée des semaines dans les graisses du
cerveau et cela rend particulièrement difficile la prise de
conscience sur la gravité des changements de comportement.
L’insertion humaine et sociale de nos enfants en est
compromise.
Qui les entretiendra dans les années à venir,
quand les
parents n’en pourront plus ?
Que
répondre à cette grand-mère qui ne
sait plus
quoi faire de son petit-fils. La Maman, à bout de forces
l’a
mis dehors. Alors ce jeune homme vole sa grand-mère, chez
qui
il s'est réfugié, lui subtilise sa voiture bien
qu’il
n’ait pas le permis, risquant ainsi de la priver de son outil
de
travail puisqu’elle est aide-soignante et a absolument besoin
de sa
voiture pour se rendre à l’hôpital.
Quand je lui
demande si elle arrive à parler à son petit-fils,
elle
me répond : « Ce n’est
pas possible, il est
fermé comme une huître ».
Que dire à
ces parents qui ont peur de leur adolescent et de ses actes de
violence, même en voiture, rendant tout trajet avec lui
impossible ? Voici aussi toutes ces familles qui voient revenir
s’installer à la maison leur grand gaillard de 25
ans qui
après des essais malheureux de vie autonome a un
comportement
régressif déconcertant, prince déchu
qu'il
faudra parfois mettre sous tutelle.
Je
ne m’attarderai pas sur l’enfer vécu
dans les familles. Le
respect devant autant de souffrances exige une
sobriété
qui relève de la dignité des personnes. Ni la
sensiblerie ni le voyeurisme ne sont de mise quand un jeune en vient
à tout casser à la maison, parfois à
provoquer
son père, frapper ses frères et soeurs ou sa
mère.
Par contre, je voudrais insister sur les moyens à mettre en
oeuvre d’urgence.
C’est-à-dire
1 :
la création de Centres de désintoxication,
2 :
la nécessité d’une
prévention efficace à
l’école,
3
: l'urgence d’enrayer la promotion commerciale de
la drogue.
1
: la création de Centres de désintoxication.
Certes,
certains jeunes arrêtent rapidement des débuts de
consommation. Des familles nous remercient par ces mots,
tantôt
par écrit, tantôt oralement :
« Vous nous
avez aidés à être plus fermes et plus
conscients
des conséquences sur le cerveau. »
D'autres
ont besoin de soins psychiatriques. J’ai peine à
croire,
comme le dit l’Académie de Médecine
dans son rapport
du 19 février 2002 que seuls 1 % des consommateurs de
cannabis
relèvent d’un suivi psychiatrique. Dans les appels
que je
reçois pour des problèmes de cannabis, au moins
une
famille sur 5 fait état de délires suffisamment
graves
pour nécessiter des soins adaptés.
Schizophrénie
ou non, les hôpitaux psychiatriques n’ont pas
toujours les
moyens de faire face. Le problème est
particulièrement
crucial pour les enfants, car avant 16 ans et 3 mois,
l’hospitalisation adulte n’est pas possible et les
lieux
d'accueil manquent.
Pour la majorité des jeunes accrocs au
cannabis, l'hôpital
n'est pas adapté. Il faut des Centres de
désintoxication.
Arrêter une addiction sans un soutien très ferme
et
exigeant, pour beaucoup, c’est impossible. Quand un jeune
dort en
classe, incapable d’aucune attention ni effort intellectuel,
sa
place n'est plus au Lycée. Faudrait-il alors des centres
« spécial cannabis » ?
Non, car à
focaliser sur un produit, le risque serait de basculer dans un autre.
Il faut simplement des lieux de réel sevrage sans aucun
produit de substitution. Des jeunes encore en âge scolaire ne
peuvent pas être envoyés dans les centres de
post-cures
actuels prévus pour les héroïnomanes et
où
l’on distribue méthadone ou Subutex. Il faut de
nombreuses
structures qui tiennent compte de l'âge, avec des projets
d’établissements variés, la seule
exigence commune
étant la non consommation d’aucun produit
modificateur de
conscience. Bien entendu, la fermeté y sera de mise, ce qui
ne
veut pas dire la rigidité. Car il faudra s’adapter
à
chacun. Une surveillance médicale rigoureuse et un soutien
psychologique seront évidemment indispensables. A partir de
là, certains lieux mettront plus l’accent sur le
sport et le
travail physique comme facteur de restructuration, d’autres
attacheront de l'importance à une remise à niveau
scolaire et un réel travail intellectuel. Il ne
s’agit pas
de tout inventer. Nous devons bénéficier de
l’expérience des Centres qui obtiennent des
résultats
tangibles. Ainsi APTE , près de Soissons ou Trempoline en
Belgique. Il sera bien entendu nécessaire que ces structures
travaillent en lien étroit avec les parents. Trop souvent
les
familles ont été évincées,
alors que ce
sont elles qui vivent cette épreuve sur le long terme. La
qualité de leur présence -même dans les
moments
de distance- est un des atouts majeurs pour la réussite des
projets.
2 :
la nécessité d’une
prévention efficace à
l’école,
La 2ème urgence est aussi
impérieuse que la
première. C'est la nécessitéd’une
prévention à l’école, crédible
et
adaptée à chaque tranche d'âge, depuis
le CM
jusqu'à la finde la
scolarité. L'offre de la
drogue étant omniprésente, les enfants doivent
être
armés très tôt et pouvoir en parler
avec des
adultes avertis et responsables, autant en famille qu'à
l'école. A l'adolescence, ils ont besoin d'en discuter avec
les parents de leurs copains ou d'autres adultes qu'ils
côtoient.
La formation scientifique et médicale des parents et des
enseignants faite avec l'aide de pharmacologues ou de toxicologues,
est aussi importante que celle des jeunes. Beaucoup de
lycéens
sont étonnés quand nous leur donnons ces
informations
et se demandent pourquoi personne ne les avait avertis encore. En
effet, si nous rappelons un état des lieux, la politique
actuelle ces dernières années a
été
marquée par l’idée de la
réduction des
risques. Or s’il vaut encore mieux utiliser une seringue
propre ou
un préservatif plutôt que de se transmettre la
maladie
et la mort, ce n’est pas avec des évidences de la
sorte
qu’on apprend au jeune à dire NON à la
drogue ni
qu’on l’éduque à une
affectivité équilibrée.
La politique de réduction des risques a incité
malheureusement à la consommation de la drogue et au
vagabondage sexuel. Elle est inadaptée à
l'école.
Elle aboutit à ce genre de question qui tracassait des
petits
5èmes venus nous demander :
« Madame,
la bonne drogue qu'est pas daubée, où faut-il
l'acheter
? », car on a réussi
à faire croire aux
jeunes que le danger c'estl'adjuvant, pas la
drogue. Il n'est
pas acceptable de vouloir enseigner à nos enfants
à
gérer leur consommation, ni à cultiver la
fascination
de la drogue. Aidons les plutôt à former leur
esprit
critique, à repérer l'arnaque esclavagiste dont
ils
seraient les premières victimes, montrons-leur comment la
drogue les empêche d'acquérir autonomie et
liberté,
informons-les réellement sur les méfaits des
produits,
pour qu'ils sachent préserver leur santé et
particulièrement leur cerveau. Cette prévention
d’usage
que nous pratiquons à échelle réduite
devrait
être évaluée et reconnue,
encouragée par
l'Education Nationale. Arrêtons cette démagogie
qui veut
seulement prévenir les risques liés à
l’usage.
Une
prévention efficace aboutit normalement à la
détermination d'éradiquer la drogue de
l'école.
Au besoin, le chef d'établissement doit pouvoir se faire
aider
d'une équipe cynophile, soit un chien
spécialement
dressé et son maître pour repérer
d'éventuels
contrevenants autant à l’école que dans
un périmètre
scolaire facile à délimiter. Cela aurait
l’avantage
de lever un climat de suspicion toujours
désagréable
quand on ne sait pas où se trouve exactement la drogue et
d’aller droit au but sans perdre de temps. Il n’est
pas pensable
de fouiller les élèves. Ce serait traumatisant
pour
tout le monde : les jeunes ont horreur d’être
soupçonnés
à tort. Des contrôles urinaires pourraient aussi
être
pratiqués à l’infirmerie pour soutenir
les plus
fragiles. Des sanctions rapides et pertinentes seraient dissuasives,
car quelquefois un règlement d’école
bien appliqué
est mieux compris que la Loi avec un grand L. Pour grandir,
l’enfant
a besoin de recevoir autant de signes d’amour que de signes
de
fermeté. Ces exigences de bon sens devraient bien
sûr
être élargies à tout un environnement
social.
Pourquoi n’y a-t-il pas encore de contrôle urinaire
sur les
stupéfiants avant de passer le permis de conduire ?
C’est
bien dès le démarrage que l’on doit
prévenir
la drogue au volant.
3
: l'urgence d’enrayer la promotion commerciale de
la drogue.
Il
est non seulement nécessaire de sanctionner la
publicité
pour la drogue et l’incitation à se droguer.
Encore faut-il
retirer du marché tout ce qui contribue à
fabriquer
cette « mode » du
pétard et de la
drogue, présentée comme la manière
incontournable de rester jeune et branché. Depuis plus de 25
ans, certains ouvrages ou revues incitatifs sont
tolérés
dans la plupart des circuits commerciaux. ASUD est même
subventionné par le Ministère de la
Santé. Il ne
suffit pas de faire de temps à autre un procès
à
un promoteur de drogue, procès symbolique qui l'aide surtout
par la publicité qui lui est faite à mieux lui
faire
vendre sa littérature. Encore faudrait-il appliquer la loi
et
retirer de la vente sa marchandise. La promotion de la drogue est de
plus en plus orchestrée par tout un environnement
médiatique.
Le pétard ou la feuille de cannabis décore des
vêtements de jeunes, parfois des canettes de bière
ou
même des yaourts. Faudra-t-il donc nous en mettre partout ?
Consommez, consommez devient petit à petit consommez de la
drogue, OUI CONSOMMEZ DE LA DROGUE ! Situation inadmissible. Comment
échapper à cette propagande-bourrage de
crâne ?
Je
vous remercie de votre attention qui nous va droit au coeur, juste au
moment où l’exaspération de nos
familles atteint un
point maximum. Quand des parents sont atteints dans leurs enfants,
ils sont blessés dans ce qu’ils ont de plus cher
au monde.
Rien ne les arrêtera pour tenter jusqu’au bout de
les sauver.
Marie-Françoise
Camus
diplômée
de toxicomanie-dopage de l'Université de médecine
d'Angers
auteur
de « Dépendances et
Liberté »,
distribué par l'association
présidente
de l'associationLe Phare, familles face à la drogue,
M.
Plasait manifeste sa contrariété de
cette promotion commerciale de la drogue et montre des bonbons dont le
papier est décoré d'une feuille de cannabis. Il
nous demande comment nous nous faisons connaître.
Principalement
par le bouche à oreille et le livre
édité par
l'association, l'écho dans les médias, car nous
ne
recevons aucune subvention.
M. Chabroux demande si la loi a une
incidence sur la
consommation. Nous avons une des législations les plus
répressives et la consommation ne fait qu'augmenter.
La
loi n'est pas appliquée. La distortion entre la loi et la
dépénalisation de fait n'est pas acceptable. Un
consensus semble exprimer la nécessité
d'instaurer des
contraventions, sans avoir recours chaque fois à la justice.
Des travaux d'intérêt
général OBLIGATOIRES
seraient également bien plus éducatifs que des
peines
de prison inefficaces.
M. Chabroux
demande combien il
faudrait créer de centres de désintoxication et
pourquoi
nous parlons surtout du cannabis.
Chaque
Lycée aurait des dizaines de jeunes qui pourraient en
bénéficier. C'est donc par centaines qu'il
faudrait
créer de tels centres.
Dans
les préventions que nous faisons au collège, nous
présentons les méfaits respectifs et
comparés du
tabac, de l'alcool et du cannabis, en passant un temps égal
sur chacun de ces produits. Tout en insistant sur les ravages
causés
sur la santé par le tabac, nous pointons surtout la perte de
lucidité provoquée par les produits modificateurs
de
conscience. Nous mettons également les jeunes en garde
contre
le G.H.B.,
la drogue du viol, l'ecstasy, les cachets et les poudres qui peuvent
donner la mort. D'autant que dans une société qui
a la
culture du médicament, les jeunes sont moins conscients du
danger.
La
croissance exponentielle des jeunes consommateurs dont le nombre a
doublé en 3 ans exige une attention particulière
sur le
cannabis, d'autant que ses méfaits sont moins reconnus que
ceux des autres produits dans une opinion publique qui a
été
abusée.
De
plus la promotion commerciale de la drogue se fait surtout sur le
cannabis, à l'encontre du L 630 du code de santé
publique. Vanter les overdoses ou les drogues immédiatement
mortelles ne serait pas commercial. Tandis que présenter le
cannabis comme une drogue douce, inoffensive et qui fait du bien
encourage beaucoup plus la vente. D'autant qu'il n'y a pas de dose
létale comme avec d'autres produits et que l'on
fidélise
ainsi la clientèle. ENRAYER LA PROMOTION DU CANNABIS, c'est
par ricochet diminuer la consommation de TOUTES LES DROGUES.